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Jean-Paul Billault

JEAN-PIERRE VACHER, LA MÉMOIRE VIVANTE DU CANAL D’ORLÉANS


Il y a des fois on a de la chance, beaucoup de chance. Ce jour là j’étais parti à la découverte du canal d’Orléans, abandonné et non utilisé depuis les années 50. Je me demandais comment j’allais pouvoir en raconter l’histoire et rencontrer des témoins du temps où il était utilisé. Par hasard je m’arrête sur un pont qui enjambe le canal et aperçoit au loin un pêcheur. C’est le premier que je voyais depuis trois heures de pérégrinations. Je m’approche et -surprise- je fais la connaissance de la mémoire vivante du canal. Ni plus ni moins !

Jean-Pierre Vacher a 80 ans. Pour aller à la pêche il porte toujours la combinaison d’agriculteur qu’il a portée toute sa vie. À la retraite il est revenu vers « son canal ». Pour pêcher, ce qu’il n’avait plus fait depuis qu’il avait commencé à travailler à 14 ans. Mais pas seulement. Sur le bord du canal Jean-Pierre Vacher revoit son enfance et tous les membres de sa famille, des « travailleurs du canal ».

« Ma grand-mère était éclusière, ma mère était éclusière, mon père maçon, chargé de l’entretien des bâtiments et des écluses. Nous vivions dans une maison éclusière des plus simples. On y avait souvent froid l’hiver. Quand j’étais gosse le canal était toute ma vie. Je regardais les troncs de bois assemblés, formant des barges, arriver de la forêt d’Orléans pour aller vers Paris. La pêche était notre moyen de subsistance, on sortait de la guerre, et avec les gars du coin on braconnait en permanence. Il y avait de tout : tanches, gardons, brochets, anguilles, carpes… Les gendarmes ne nous faisaient pas peur et il y avait du poisson en pagaille. Quand les bateaux passaient on se dépêchait de mettre nos lignes à l’eau car le remue ménage dans l’eau faisait que ça mordait à tous les coups. Les gars sur les bateaux faisaient des échanges avec nous. On avait un jardin et c’était légumes frais contre le fumier que produisait le mulet qui tirait le bateau. Parce que la nuit le mulet était enfermé dans une sorte d’écurie à l’intérieur du bateau, et il fallait bien qu’il se débarrasse du fumier. Ça tombait bien parce nous n’avions rien pour fertiliser notre jardin. C’était des arrangements de gens qui étaient pauvres, mais qui échangeaient beaucoup. En 1954 la circulation sur le canal s’est arrêtée. Les temps changeaient. Pour survivre mon père est parti travailler sur les routes, ma mère est devenue couturière. Moi je suis parti travailler. À 14 ans, à la louée de Lorris, j’ai trouvé un emploi dans une ferme. Le canal était derrière moi… Plus tard je me suis marié et je suis devenu exploitant agricole. Pendant 13 ans j’ai été maire de Presnoy, de 1995 à 2008. À cette occasion j’ai eu à m’occuper du canal. Il y avait différents projets, notamment pour l’entretenir, même s’il ne servait plus à rien. Maintenant que c’est de nouveau entretenu je trouve ça bien. Les gens ont fait le canal pratiquement à la main dans l’ancien temps. Il faut honorer ces bâtisseurs en respectant le canal. Maintenant, à la retraite, je suis revenu pêcher. On y est bien tranquille. Seul problème, la pêche ! Le canal est devenu le paradis des poissons chats ! Mais bon, ça passe le temps. »

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