Collégiens à l'E.R.E.A Simone Veil, ils ont créé leur petite entreprise
Ils sont dix-sept, et à quelques mois près ils ont tous 15 ans. Ils sont en 3ème et pour la plupart d’entre eux le grand saut c’est pour l’année prochaine : ils vont partir dans des filières professionnelles et être souvent confrontés au monde du travail et des entreprises. Pour mettre le pied à l’étrier, comprendre comment une entreprise fonctionne et commencer à se frotter à la réalité « en douceur », ils participent à une expérience qui prend la forme d’un concours.
Ça s’appelle Entreprendre Pour Apprendre. L’objectif est de créer une mini entreprise qui a tout d’une grande. Durant une année scolaire une équipe de jeunes, accompagnés par leurs professeurs vont monter leur projet, imaginer un produit, s’organiser pour le produire, définir leurs objectifs, passer par la phase prototype avant de lancer la production, sans compter la recherche de financement, le marketing et la communication qui accompagnent tout projet de ce type. À la fin l’équipe participe à un concours ou les jeunes de plusieurs collèges présentent leur mini-entreprise devant des jurys. C’est le grand moment !
En attendant d’en être là, l’équipe de l'Établissement régional d’enseignement adapté Simone Veil (E.R.E.A) consacre une demie-journée par semaine à développer sa mini-entreprise. Le produit qu’ils ont imaginé, et dont ils commencent la production après les essais et le prototypage, est un cadre en bois permettant également d’accrocher des clés. Pour réduire les couts de production et les achats de matériaux, les jeunes ont récupéré des palettes en bois. Les machines utilisées pour la production sont celles de l’atelier de menuiserie du collège.
Pendant que certains élèves sont à la production en atelier, d’autres planchent sur le marketing et sur la commercialisation. Mais il y a quelques jours il y avait un autre enjeux : préparer l’assemblée générale pour présenter le projet à des personnes qui ont eu la gentillesse de souscrire des avances remboursables de quelques euros pour lancer l’entreprise et constituer un début de trésorerie. Une sorte de répétition générale avant le concours, mais devant un jury très bienveillant.
UNE EXPÉRIENCE POUR SE SENTIR PLUS FORT
Dans la mini-entreprise chacun à son rôle. Un « poste » que chacun à obtenu après avoir passé un entretien devant un spécialiste du recrutement. Une personne extérieure à l’établissement, neutre et sans affect, qui a poussé chaque jeune à définir son projet personnel, ce qu’il voulait faire dans la mini entreprise. Un premier entretien qui a permis à certains de ce révéler. Aujourd’hui, chacun a un poste à tenir, tout en apprenant à travailler en équipe. Ce n’est pas toujours facile, mais la recherche de la cohésion fait partie de l’expérience.
Manon Jolivot est responsable de production. « On a parlé de ce que nous voulions faire, on a fait des prototypes, et maintenant on a choisi de faire les cadres porte-clés. Créer quelque chose qui vient de notre imagination, c’est ce qui me plait le plus. » Dans le cadre de la mini-entreprise elle travaille avec six « techniciens chargés de production ». Avec eux Manon a étudié le temps qu’il fallait pour réaliser un cadre à partir de bois de palette. La réponse : « entre 30 et 40 minutes, tout dépend de la qualité du bois, s’il faut le poncer beaucoup ou pas. » Mais Manon a aussi un autre travaille : « mon rôle c’est aussi d’éviter les conflits dans l’atelier, car c’est pas toujours facile de travailler ensemble ».
Tristana Guinot est responsable de la communication et du marketing. L’un des premiers enjeux étaient de trouver un nom à la mini-entreprise. Elle s’appelle « LMC », pour « Learn, Make, Create ». Tout un programme. Tristana est à l’aise dans son poste : « je suis plutôt du genre à aller vers les autres, à discuter et à écouter. C’était normal que je sois dans la communication ! Je m’occupe des flyers pour annoncer nos produits. Pour le logo on est parti de la matière première que nous utilisons : la palette. C’est simple et parlant. Ce que j’aime c’est l’idée que nous participions tous ensemble à ce projet pour aboutir à quelque chose de concret. »
Marie Loane Alle est la directrice générale. C’est le poste qu’elle voulait vraiment lors de son entretien. « J’aime bien être moteur, j’aime bien l’esprit d’équipe, et je crois que j’aime bien diriger. Je me suis dit que j’avais quelques compétences et que je pourrai maîtriser le projet dans son ensemble. Mais je n’en étais pas sûr. Je ne savais pas si j’allais vraiment me fixer sur le projet et si j’allais remplir la mission, si j’allais vraiment m’engager. Aujourd’hui je suis plutôt fier et je me dis que peu importe l’âge, on peut créer quelque chose. Et ça fait plaisir quand les autres m’écoutent pour essayer d’avancer tous ensemble. Ce n’est pas toujours évident, mais on devrait y arriver. »
L’ÉCOLE DE LA BIENVEILLANCE
Les adultes, professeurs et éducateurs, qui accompagnent les élèves de l’E.R.E.A ont un rôle très important car ils le savent, ils n’ont pas beaucoup de temps pour les préparer à la « vraie vie ». En effet la plupart de ces élèves vont sortir du collège pour rentrer en apprentissage. Souvent c’est un choc et ils n’y sont pas vraiment préparés psychologiquement. L’expérience de la mini-entreprise sert parfois de déclic pour certains collégiens.
Frédéric Nezondet est professeur de technologie. Avec trois autres collègues, Nicolas Salin, Jean-Luc Dardonville et Rodolphe Prochasson, il accompagne les 17 jeunes dans l’expérience mini-entreprise. Ça fait trois ans qu’il mène ce type d’opération avec des classes de troisième. « C’est très positif », explique-t-il. « Ça permet d’augmenter leur motivation a un moment clé, juste avant leur départ du collège. La motivation, se sentir impliqué dans un projet, retrouver de la confiance en soi, de l’estime de soi, c’est ce que permet ce projet. Avec le recul je peux vous dire que pour certains jeunes qui ont fait une mini-entreprise avec moi il y a trois ans, ça a constitué un véritable déclic. La plupart des élèves ici sont en grande difficulté scolaire et ils ont aussi parfois des problèmes de comportement. La mini-entreprise c’est un moment différent, c’est moins scolaire et on a tous une attitude différente. Ils peuvent donc s’impliquer différemment et pour certains ça leur fait beaucoup de bien et ils se voient un peu différemment. »
Sarah Antezak est directrice d’une agence d’intérim à Villemandeur. C’est elle qui est venue faire passer les entretiens pour l’attribution des postes dans la mini-entreprise. « Ce dispositif est pour moi un révélateur de talent », explique-t-elle. « Dans les entretiens certains élèves se sont vraiment révélés au delà des discours préparés. Ils ont fait le lien avec des qualités ou des compétences qu’ils ont en eux mais dont ils n’avaient pas conscience. Ils ont pu exprimer ça, et ça peut changer considérablement l’image qu’ils ont d’eux-même. J’ai vu des jeunes avec parfois une maturité bluffante. Je suis neutre, sans affect, je ne les connais pas, alors pour eux c’est un oeil neuf qui les regarde et souvent ça les transforme. C’est leur premier entretien dans ce qu’on peut appeler le monde réel, alors on les aide, on leur donne des pistes. Ils vont très vite être dans la vie active et ça ne sera pas évident pour beaucoup. Un peu de bienveillance à leur égard, ça ne peut que les aider ».
André Clavel est à la retraite. Ancien cadre dans l’industrie pharmaceutique on lui a demandé cette année d’être le parrain de la mini-entreprise de l’E.R.E.A. Il vient régulièrement pour accompagner les jeunes entrepreneurs et les conseiller. Pour Frédéric Nezondet cette ouverture sur l’extérieur, ça permet à chacun de trouver une nouvelle posture.