Ingénieur forestier et conteur - Laurent Tillon : auprès de son arbre il vit toujours heureux
Laurent Tillon est biologiste et ingénieur forestier à l'Office national des forêts (ONF). Spécialiste de l'écologie des chauves-souris, il travaille sur le fonctionnement des écosystèmes et les relations entre les espèces animales et les arbres, avec l'objectif d'intégrer les enjeux de biodiversité à la gestion forestière. Depuis 2020, il est conservateur bénévole pour le Conservatoire d'espaces naturels du Centre Val-de-Loire d'un site à chiroptères qu'il a découvert durant l’adolescence.
Il vit au cœur de la forêt de Rambouillet, qui lui a inspiré Être un chêne (Actes Sud, 2021), best-seller de la collection "Mondes sauvages". Il est également l'auteur de l'essai Les Fantômes de la nuit, des chauves-souris et des hommes (2023), ouvrage récompensé par le prix Bourrienne qui distingue un livre de vulgarisation scientifique.
Laurent Tillon est venu cet été à l’Arboretum des Barres à Nogent-sur-Vernisson pour présenter ses livres lors d’une conférence organisée par L'association Cultur’AuxBarres. Le public était venu nombreux pour écouter ce forestier charismatique. C’était presque un « retour aux source » pour Laurent Tillon car il a fait ses études au LEGTA (lycée d'enseignement général et technologique agricole) qui forme les forestiers dans le cadre exceptionnel de l’Arboretum des Barres. Ce conteur raconte avec passion et humour son destin de forestier mais surtout il nous fait plonger dans un monde extraordinaire, celui d’une biodiversité étonnante qui se cache dans nos forêts et souvent sous l’écorce des arbres. Un monde souvent ignoré par les « visiteurs » des forêts, les nombreux français (on estime à 1 milliard de visiteurs qui pénetrent en forêt chaque année) qui s’y rendent pour se détendre ou se ressourcer.
Comment êtes-vous devenu « forestier » ?
On ne vient pas au LEGTA (lycée d'enseignement général et technologique agricole) par hasard. On y vient aussi parce qu’on a une certaine conviction, une certaine appétence pour la nature, l’environnement, la biodiversité, le vivant en général. Dans mon cas c’est apparu au moment de l'adolescence. J’avais 15 ans et j’avais beaucoup de colère… Ça arrive à certains étudiants d’être comme moi en désaccord avec sa famille ou autre, et donc on est en colère. Ma manière d'expulser toute l’énergie que j’avais c’était de prendre mon vélo et d’aller me promener, notamment en forêt de Rambouillet qui n’était pas très loin de chez moi. Je me souviens d’un jour de février, j’avais 15 ans, je me retrouve dans une sorte de sanctuaire bordé par de grands et vieux chênes. Je lève la tête et là, pour la première fois depuis des mois je me sens apaisé, serein. Et ça a eu une conséquence : l’envie de revenir dans cette zone parce que ça m’apaisait. Alors je suis revenu et puis j’ai eu envie de m’adosser à un arbre. J’ai commencé par “essayer” des hêtres, puis des chênes, jusqu’à un moment ou je me suis senti bien en m’adossant sur un chêne particulier. Il a un empattement, c’est à dire la zone de démarrage des racines qui s’enfoncent dans le sol, qui permettent parfois de s’accouder… Je me suis posé là dans un creux de l’empatement qui était idéal, comme dans un fauteuil. À cet endroit je pouvais réfléchir, lire, méditer… Et donc j'y suis revenu et à partir de ce moment-là cet arbre n'était plus un arbre parmi tant d'autres, c'était l'arbre, “mon chêne”, c’était « Quercus », le nom que je lui ai donné, et c'est de la qu’a émergé une vocation qui fait que je suis devenu le forestier que je suis aujourd'hui en rejoignant à un moment donné le LEGTA pour mener des études autour de la biodiversité et de sa gestion.
Et en vous intéressant à la biodiversité, les écosystèmes et les relations entre les espèces animales et les arbres, vous avez découvert un monde fascinant que peut de promeneur en forêt peuvent voir ou imaginer…
Il faut savoir que lorsque on a l'impression que la forêt est calme, qu'elle est tranquille, en réalité il peut se passer des choses absolument terribles ! Les arbres qui ne peuvent pas se déplacer depuis qu'ils qu'ils se sont enracinés subissent de multiples pressions mais ils n'ont pas la possibilité de les fuir. Ils adaptent donc leur système de défense. Une de ces pressions est liée notamment à un animal : la Tordeuse verte du chêne que j'ai appelé dans le livre « Être un chêne » Tortrix. C’est une toute petite chenille qui va donner naissance à un papillon de nuit qui fera dans les 2,4 à 2,5 cm d’envergure. C’est un tout petit papillon mais dont la chenille est absolument vorace ! Elle est vraiment calée sur le rythme biologique du chêne : elle sort de l'œuf au moment où les chênes vont commencer leur débourrement et elle arrive jusqu'au première feuille pour les dévorer. Elles vont bientôt être en très grand nombre. Vous ne les voyez pas forcément mais d’une certaine manière vous pouvez les entendre… Quand vous êtes en forêt, notamment au printemps en mai, il arrive qu'il fasse grand beau temps, pas de vent, le ciel est bleu et pourtant vous entendez des petits bruits comme s’il pleuvait… Et bien en fait il pleut des… crottes de chenilles ! Et ses crottes de chenille, d’une certaine manière je peux vous démontrer qu'en fait elles vous font du bien…
On demande à voir, ou plutôt à comprendre le lien entre crottes de chenilles et bien-être du promeneur en forêt…
En fait, quand votre chenille arrive sur la feuille du chêne, il se passe à ce moment-là quelque chose d’incroyable : dès qu'elle commence à percer la feuille les quelques cellules de la feuille qui sont affectées par cette morsure vont émettre une hormone de stress dans les 15 secondes qui suivent. Les cellules qui sont autour et qui ne sont pas encore abîmées reçoivent le message. Elles émettent alors un acide qui se diffuse sur la feuille pour dire “attaque de chenilles !” à partir de ce moment-là s'engage un combat et une course contre la montre. La feuille faisant tout pour éviter l'attaque de chenilles va utiliser une première solution : elle va changer la quantité de potassium et d'azote qui sont sollicités et mobilisés pour fabriquer les cellules de la feuille. Conséquence : la chenille dévoreuse à des petits problèmes digestifs qui vont lui poser de gros problèmes de croissance. Donc la chenille évacue en faisant des crottes et finit par évacuer le poison.
Donc les feuilles de l’arbre vont devoir adopter une deuxième stratégie en fabriquant des molécules très complexes qui durcissent la feuille. Quand vous voyez dans le courant du mois de mai les feuilles qui deviennent d'un verre beaucoup moins translucide, qui deviennent beaucoup plus dures, c'est parce que ces feuilles commencent à se doter de tanins. Ce sont des molécules très complexes, très difficile à décomposer par la chenille et donc ça va ralentir encore une fois sa croissance et sa capacité à continuer à manger la feuille. Mais elle y arrive quand même, c’est une vorace ! Les tanins vont donc limiter la propagation de la chenille mais pas suffisamment : la feuille va continuer elle à se faire dévorer mais il faut absolument que l’intégralité de l’arbre soit prévenu pour très vite avoir la possibilité de se protéger contre les autres chenilles qui pourrait sortir dans les quelques jours qui suivent. C'est exactement ce qui se passe à partir de ce moment-là. Notre chêne se met à produire des alcaloïdes qui sont des molécules volatiles qui se dispersent dans l’air. Les alcaloïdes vont jusqu'aux feuilles qui sont juste à côté et qui captent ces molécules qui signifient « attention attaque de chenilles ». La feuille prévenu dit « ok, j'ai compris le message, je vais changer mon taux de potassium et d’azote, et ok, je vais fabriquer des tanins, et ok, je fabrique moi-même des alcaloïdes qui vont circuler de manière à prévenir l'arbre de proche en proche ». Quand on se balade en forêt au mois de mai on n’imagine pas qu’il se passe tout ça !
Et au final comment ces combats de titan à l’échelle moléculaire nous ferait du bien quand on se balade en forêt une belle journée de mai ?
Quand de proche en proche tout l'arbre arrive à être prévenu et qu’il fabrique ces molécules volatiles, il suffit donc d’un petit courant d’air envoyé notamment vers le sol, là où vous vous promenez, pour que vous respiriez ces molécules. Elles ne sont pas agressives pour nous, elles ne nous font pas de mal, mais malgré tout notre corps les identifie comme des molécules étrangères qui pourraient peut-être -on ne sait jamais- faire du mal. Ça a une conséquence : notre corps se défend et il fabrique de lui-même naturellement des lymphocytes NK (Natural Killer) qui vont renforcer notre système immunitaire. En résumé donc, le premier rempart face à toute attaque virale, bactérienne, etc…, c’est de vous promener en forêt au moment où vous avez une attaque de chenille !
Retrouvez tout l’univers de Laurent Tillon dans ses ouvrages
Être un chêne: Sous l'écorce de Quercus. Éditeur : Actes Sud.
Depuis son adolescence, Laurent Tillon écoute patiemment Quercus, un grand chêne sessile dans la force de l’âge, deux cent quarante ans. Au gré d’innombrables péripéties émaillées de batailles silencieuses et d’alliances inattendues, de pilleurs et de parasites, de tempêtes et de trahisons, l’auteur entremêle subtilement l’histoire de Quercus à celle de tout le petit peuple de la forêt, capricornes et salamandres, mulots et chauves-souris, pics et chouettes.
Les Fantômes de la nuit: Des chauves-souris et des hommes. Éditeur : Actes Sud.
Depuis les grottes de la préhistoire, les hommes côtoient les chauves-souris, le plus souvent sans le savoir tant elles sont furtives. Qu’elles nous effraient ou nous fascinent, elles demeurent, pour la plupart, encore méconnues et mal-aimées. Passionné depuis l’enfance, Laurent Tillon invite le lecteur à pénétrer discrètement dans leur intimité pour découvrir des animaux aux capacités surpassant de loin les pouvoirs de nos super-héros. Aujourd’hui, la découverte des multiples interactions qui nous lient à elles nous obligent à leur prêter attention. Alors que de multiples crises émergent (biodiversité, climatiques et sanitaires), les chauves-souris offrent des éclairages passionnants sur la manière de reconsidérer nos façons de vivre. Plus troublant encore : leur vie sociale est si riche et si intense que nous pourrions bien être nous-mêmes au centre des intérêts de ces fantômes qui peuplent nos nuits…
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